samedi 10 janvier 2015

Questionner, raconter, expliquer, rassurer...et agir


Journées noires : choc, peur, attente, colère, incompréhension... et pendant ce temps-là, la vie continue : on travaille, les enfants sont là, on prépare les repas, on fait réciter les leçons, on les conduit au club... la vie quoi !

C'est un drôle de décalage. Je ressens une schizophrénie qui me fait vivre, sentir et vibrer au rythme des flashs d'info, des derniers dénouements, de l'inquiétude et de la révolte, de la conscience de mon appartenance à un pays, à quelque chose de plus grand que je dois défendre. Et en parallèle, je gère le quotidien de ma vie de famille : comme d'habitude !

Entre les deux, il y a la parole avec les enfants pour faire le lien. 

Lors des attentats du 11 septembre 2001, les enfants étaient petits et j'avais voulu cacher la télé, les images des corps qui tombent, des tours qui effondrent et la douleur des proches que je trouvais tellement violents, traumatisants. J'avais montré des photos, expliqué mais sans plus... 
14 ans plus tard, mon fils me reproche encore d'avoir été tenu à l'écart, de s'être senti déconnecté des autres, exclu, d'être "passé à côté".

Et cette fois, j'ai suivi les conseils glanés : 
* Questionner sur ce qu'ils ont vu, entendu, compris... et insister "qu'est ce que ça veut dire pour toi Jihad, Charlie hebdo, Yemen, satirique, GIGN, casher, Cabu... ?"
* Raconter, expliquer, décrypter, en regardant avec eux les vidéos qu'ils verront forcément... et se poser des questions ensemble sur toutes les zones d'incertitudes et les rumeurs qui circulent...
* Partager ce que je ressens avec eux sans pudeur et essayer de savoir ce qu'eux même ressentent.
* Rassurer sur les mesures mises en place, parler des conséquences très concrètes pour eux, dans notre propre périmètre : les barrières, les contrôles,... et répondre à toutes leurs questions aussi saugrenues soit-elles. Est-ce que les sirènes vont sonner ? Qu'est-ce que tu dois répondre à un copain qui dit que c'est bien fait ? Qu'est ce que tu fais si ton collège est confiné ? Est-ce que tu peux aller au ciné à la Défense ? Est-ce dangereux pour Papa de travailler à Paris ? Je pense que le risque zéro n'existe pas, qu'il faut être vigilant et respecter les consignes mais surtout qu'il ne faut pas s'arrêter de vivre. 
Rassurer c'est aussi leur accorder le droit de parler d'autre chose. "veiller à couper régulièrement le flux d'information" conseillait un psy à la radio : accordez-vous des sas de respiration.
* Agir, faire quelque chose ensemble, proposer des gestes pour marquer son refus de cette barbarie et notre attachement aux valeurs de liberté que nous souhaitons garder dans notre pays : une bougie, des dessins pris sur le net imprimés et collés. J'ai aimé qu'ils reviennent de l'école avec leurs propres signes de jeunes : un C écrit au feutre au poignet.

Ni eux ni moi ne sommes d'une génération qui a eu besoin de se battre pour sa liberté. C'est un privilège dont nous avons hérité. Jusqu'à présent, nous mesurions notre chance par comparaison avec d'autres pays, avec distance aussi. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de défendre et d'incarner des valeurs.

La Presse Jeunesse se mobilise sur des numéros spéciaux pour nous aider à en parler aux plus jeunes AstrapiMon Quotidien